Alors que je faisais le tour des documents que l’on m’avait autorisée à consulter dans les services d’archives historiques bancaires, j’ai découvert l’immense variété des supports, ainsi que les multiples manières de les valoriser. Je voudrais vous parler aujourd’hui d’un nouveau type de document que je trouve particulièrement savoureux : les archives orales.

Dans certains établissements ou institutions, de grandes campagnes ont été lancées depuis vingt ans pour recueillir des témoignages auprès des salariés et d’anciens salariés. On les retrouve sur des sites internet comme Mémoire orale de l’industrie et des réseaux qui regroupe les récits des professionnels des chemins de fer, de l’électricité ou de l’aluminium. Au sujet de l’histoire bancaire, que nous découvrons ensemble depuis maintenant quelques mois, plusieurs heures d’archives orales ont également été rendues accessibles par le ministère des Finances ou encore par l’Association pour l’histoire de BNP Paribas.

Ces sources font désormais partie intégrante des documents disponibles pour servir la recherche scientifique en histoire, en sociologie… et viennent considérablement enrichir mon travail concernant l’emploi et le statut professionnel des femmes dans le secteur bancaire depuis la fin du XIXe siècle !

« Mission Histoire » à la Société Générale

J’ai également trouvé des archives orales passionnantes à la Société Générale. Les archivistes de l’entreprise m’ont expliqué le besoin de recueillir cette mémoire : cela correspond à la prise de conscience récente du départ en retraite des enfants du baby-boom, largement recrutés dans les années 1960-1970, témoins de plusieurs décennies de changements dans leur secteur professionnel. A cela s’ajoute une volonté prégnante de préserver une mémoire vivante et de raconter l’histoire d’un établissement fondé il y a plus de 150 ans. Cette préoccupation est partagée de manière concrète par la Mission Histoire de la Société Générale, créée en 2005 et qui rassemble d’anciens collaborateurs et des historiens.

C’est dans ce contexte que l’historienne Laure Quennouëlle-Corre conduit régulièrement des interviews filmées pour recueillir les récits de carrière des dirigeants de la Société Générale. Le sociologue Nicolas Divert, quant à lui, complète cette démarche en collectant sous format audio des témoignages d’anciens salariés de l’entreprise. Pour cela, il se déplace dans toute la France, tantôt au domicile des personnes, tantôt au sein des agences bancaires. Des métiers passionnants, non ?

Pas simple pour autant de recruter des volontaires représentatifs, permettant d’étudier scientifiquement les témoignages. Répondant à un appel lancé dans la revue « L’Ancien de la Banque », destiné aux retraités de la profession bancaire, de nombreuses personnes se sont fait connaître et ont accepté de se prêter à l’exercice… mais bien peu de femmes cependant. Nicolas Divert m’a confirmé lors de notre entretien qu’archivistes, historiens et sociologues ont souvent été confrontés à des réticences ou à des refus : « Moi, vous croyez ? Mais ma carrière n’est pas très intéressante… ».

Force est de constater que, malgré une féminisation progressive de ce programme d’archives orales (les anciennes mécanographes, dactylos ou employées y ont fait leur entrée à force de persuasion !), celui-ci est loin d’être paritaire et le corpus réuni n’est pas encore représentatif d’un secteur pourtant largement féminisé. Je trouve tellement dommage que les femmes dévalorisent leurs parcours professionnel… C’est d’ailleurs pour remédier à cela que j’ai récemment réalisé mes trois tweet-documentaires retraçant des parcours (fictifs) de femmes employées du secteur bancaire ! J’espère ainsi apporter une petite pierre à l’édifice pour la reconnaissance de la place des femmes dans la société et le monde professionnel.

Prêts ? Ecoutez !

Revenons aux archives orales de la « Mission Histoire » qui nous renseignent sur les parcours, les carrières, la formation et les conditions de travail dans les différents postes occupés à la Société Générale. Je n’en dis pas plus, plongeons ensemble au cœur des métiers :

Archives orales Société Générale, entretien avec Sylviane R., réalisé par Nicolas Divert, 2018.
Cette ancienne mécanographe qui nous parle des conditions de travail sur les machines dans les années 1960 nous renvoie à une époque pas si lointaine que ça ! Pourtant, il y avait des métiers féminins et des métiers masculins, et c’était comme ça.

J’ai aussi été touchée par certains témoignages qui évoquent les freins rencontrés en cours de carrière, l’allongement des délais de nomination, les préjugés, le devoir de faire ses preuves en tant que femme… Monique S. en parle si bien :

Archives orales Société Générale, entretien avec Monique S., réalisé par Nicolas Divert, 2011.
Quant à d’autres femmes, comme Colette L., elles font part d’impressions contraires et semblent ne pas avoir éprouvé de difficultés du fait de leur genre :

Archives orales Société Générale, entretien avec Colette L., réalisé par Nicolas Divert, 2011.

 

La parole aux « femmes qui comptent »

Des travaux de recherche importants ont été entrepris par les historiennes Sabine Effosse et Laure Quennouëlle-Corre dans le cadre du volet scientifique du projet Femmes qui comptent dont le nom a inspiré celui de ce blog. Dans ce cadre, il leur a fallu rechercher, avec le concours du service des Archives historiques de la Société Générale, des profils de femmes pionnières dans des postes à responsabilité.

Ce programme a notamment été l’occasion de mettre en lumière des parcours exceptionnels comme ceux de Marie-Thérèse Bret, ingénieure informaticienne et Annick Bourzat, directrice honoraire :

Archives orales Société Générale, entretien avec Marie-Thérèse Bret, réalisé par Sabine Effosse, 2017.

Archives orales Société Générale, entretien avec Annick Bourzat, réalisé par Sabine Effosse, 2017.
Ces entretiens abordent sans détours une multitude de sujets, c’est là leur richesse. Bien entendu, c’est grâce à un large corpus d’entretiens réalisés que les expériences peuvent se croiser, se recouper pour faire émerger des traits saillants à valeur historique. Ces archives semblent très intimes, aussi je me suis renseignée sur les droits concernant leur réalisation et leur utilisation : pour celles que j’ai pu consulter, les témoins comme les intervieweurs ont donné leur accord par contrat mais gardent tout de même la main sur la consultation et la communication de leur récit.

J’espère qu’à travers ces quelques extraits, j’aurai pu vous faire sentir toute la richesse de ces fonds d’archives orales et partager quelques expériences inédites, pourtant méconnues, de femmes anonymes.

Pour aller plus loin :

L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Florence Descamps, Ed. du Comité pour l’histoire économique et financière de la France / IGPDE, 2005.

Les archives orales : bilan, enjeux et perspectives, La Gazette des archives, n°211, 2008-3.

Bulletins Sonorités, AFAS Association française des archives orales, sonores et audiovisuelles.

Archives orales et audiovisuelles