Ce matin, en allumant la radio, les actualités ont de nouveau fait écho à la question de la parité au travail. L’initiative #3novembre11h44 des Glorieuses pour dénoncer les écarts de salaires persistants entre les hommes et les femmes a mis un bon coup de projecteur sur ce sujet, largement relayé par les médias. Et c’est tant mieux ! Car les derniers chiffres mondiaux sur la parité sont alarmants… Cependant, en France les choses semblent s’améliorer et il devient pour moi très clair que cette parité en devenir est le fruit de nombreux combats menés pour la reconnaissance des femmes dans le monde du travail.

Lors de mon dernier passage aux archives de la banque dont j’explore les fonds pour retracer l’histoire des droits des femmes, j’ai repéré une série de graphiques dressant un état démographique complet du personnel du CCF en 1949 (Crédit commercial de France devenu HSBC France en 2005). En voici un extrait, qui représente la répartition hommes-femmes, par grade et ancienneté :

État démographique des employés et gradés selon leur ancienneté, Crédit commercial de France, 1949. HSBC France, Archives historiques.

État démographique des employés et gradés selon leur ancienneté, Crédit commercial de France, 1949. HSBC France, Archives historiques.

Un très beau graphique, dessiné à la main ! Les hommes en bleu, les femmes en rose (comme ça c’est clair !), il reflète notamment l’important accroissement du personnel entre 1939 et 1949. Et en particulier l’embauche de nombreuses femmes sur cette période.

Les employés de l’agence Nord-Magenta à Paris, années 1950. HSBC France, Archives historiques.

Les employés de l’agence Nord-Magenta à Paris, années 1950. HSBC France, Archives historiques.

Être femme sous le régime de Vichy

J’avais déjà trouvé de nombreuses sources expliquant les embauches massives de personnel féminin par les banques lors de la Première Guerre mondiale. Je découvre peu à peu qu’il en a été de même à l’approche de la Seconde Guerre mondiale… Dans une lettre qui date de 1938, Madame B. est inquiète des événements se déroulant en Europe. Elle redoute le départ au front de son époux et sollicite par anticipation un poste auprès de son employeur, la succursale bordelaise du Crédit commercial de France. Elle renouvellera sa demande en 1939, la mobilisation de son mari s’étant confirmée.

Lettres de Madame B. au directeur du Crédit commercial de France à Bordeaux du 26 septembre 1938 et du 1er septembre 1939. HSBC France, Archives historiques.

Lettres de Madame B. au directeur du Crédit commercial de France à Bordeaux du 26 septembre 1938 et du 1er septembre 1939. HSBC France, Archives historiques.

Grâce aux connaissances des archivistes qui accompagnent mes recherches, j’ai appris que la plupart des établissements publics et privés se sont préparés dès 1935 à l’éventualité d’un conflit. A partir de 1938, des «bureaux de mobilisation» sont créés pour prévoir l’organisation des services bancaires en temps de guerre… puis les événements s’enchaînent et en 1939, la guerre est déclarée.

De nouveau, les banques recrutent les épouses de leurs employés mobilisés, dès lors que leur situation familiale ou financière le nécessite. Ainsi, l’Histoire semble se répéter… mais dès 1940, il faut composer avec le régime de Vichy qui promulgue la loi du 11 octobre 1940, interdisant l’emploi des femmes mariées dans les administrations. Dans le secteur privé, diverses mesures favorisent également le licenciement de celles qui ne sont pas considérées comme soutien de famille.

affiches de propagande réalisées sous le régime de Vichy par le collectif d'affichistes lyonnais qui se faisait appeler l'équipe « Alain-Fournier ». Collection CHRD Lyon.

Affiche de propagande réalisée sous le régime de Vichy par le collectif d’affichistes lyonnais qui se faisait appeler l’équipe «Alain-Fournier». Collection Centre d’histoire de la résistance et de la déportation, Lyon.

affiches de propagande réalisées sous le régime de Vichy par le collectif d'affichistes lyonnais qui se faisait appeler l'équipe « Alain-Fournier ». Collection CHRD Lyon.

Affiche de propagande réalisée sous le régime de Vichy par le collectif d’affichistes lyonnais qui se faisait appeler l’équipe «Alain-Fournier». Collection CHRD Lyon.

Madame B. avait déjà été employée au CCF de 1919 à 1934, pour pallier le manque de personnel suite aux ravages de la Première Guerre mondiale (et sans doute de son point de vue, par nécessité). « Je n’ai quitté la Banque en décembre 1934 que par suite de mon mariage avec Monsieur B. », dit-elle dans sa lettre. Suite à sa candidature, elle sera de nouveau engagée du 11 septembre 1939 au 1er juillet 1940, date à laquelle son époux démobilisé reprendra son poste.

Qu’est-il alors advenu de Madame B. ? S’est-elle pliée à l’idéal féminin du régime de Vichy qui la voulait ménagère et mère de nombreux enfants ? A-t-elle célébré la fête des mères, devenue fête nationale pour glorifier la famille, la maternité et l’ordre moral ? A-t-elle repris un emploi dans la banque suite à la guerre ?

Tract de la fête des mères 1942. Musée de la résistance, Champigny.

Tract de la Résistance à l’occasion de la fête des mères et appelant celles-ci à empêcher leurs « maris, fils et frères de produire pour la machine de guerre allemande ». Musée de la Résistance, Champigny.

De la mixité à la parité

Rappelons que le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines a été reconnu et inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946. Et c’est dans cette période d’après-guerre que les recrutements féminins se sont renforcés dans les établissements bancaires. Le schéma du CCF en est assez représentatif : il montre que les femmes comptaient pour 52% des effectifs en 1949, contre 47% en 1939. Malgré leur forte présence, ces femmes étaient en très grande majorité des employées administratives et moins de 3% d’entre elles faisaient partie des cadres.

Le personnel du CCF de la succursale de Lille, années 40. HSBC France, Archives historiques.

Le personnel du CCF de la succursale de Lille, années 1940. HSBC France, Archives historiques.

Depuis les mouvements de libération des femmes des années 1970-1980, les services de ressources humaines des banques ont commencé à appliquer des politiques en faveur de la mixité, mais surtout de la parité ! Car si la présence du personnel féminin dans les établissements bancaires est un fait avéré et admis, il reste toujours difficile pour les femmes d’accéder à des postes à responsabilités et aux mêmes conditions de rémunération que leurs homologues masculins.

Aujourd’hui, les études démontrent que près de la moitié des cadres des banques sont des femmes. Pourtant, les postes à haut niveau semblent encore  difficilement accessibles… Il reste des efforts à faire pour briser le plafond de verre et pour que les femmes aussi puissent devenir Numéro UNE!

En savoir plus :

Les affiches de propagande :

Les femmes sous le régime de Vichy :

L’accès aux droits après-guerre :

Mixité et parité hommes-femmes aujourd’hui dans les banques :