Je vous ai déjà beaucoup parlé des combats menés depuis la fin du XIXe siècle pour favoriser l’émancipation sociale, politique et financière des femmes, notamment en évoquant l’emploi féminin dans le secteur bancaire. Il faut dire que la quantité et la qualité impressionnante des archives historiques conservées dans les établissements bancaires m’ont beaucoup aidée à retracer cette histoire passionnante !

Pour tenter d’avoir une vision un peu plus large de la place des femmes dans le monde du travail, je vais vous parler aujourd’hui du parcours des femmes dans les administrations françaises. Et pour cela, j’ai dû remonter… jusqu’à l’Ancien régime ! Et oui, si les banques ont été précurseurs sur de nombreux plans, les femmes pouvaient déjà accéder à des emplois publics avant la Révolution française. Attention, il n’était pas non plus question de leur confier de trop grandes responsabilités ! Elles étaient juste tolérées sur des emplois de commis, au plus grand mépris des hommes d’ailleurs. Quant à celles qui prenaient un peu de galon pour devenir par exemple débitante de sel ou chargée d’un entrepôt de tabac, elles étaient encore plus décriées !

Vue de l’atelier de confection des boîtes d’allumettes à la manufacture SEITA de Metz, vers 1960.

Vue de l’atelier de confection des boîtes d’allumettes à la manufacture SEITA de Metz, vers 1960.

Révolution française : marche arrière pour les femmes !

Alors, qui sont les pionniers en matière d’emploi féminin massif dans l’administration publique ? Il semble bien que ce soit La Poste, qui revendique cette politique dès 1714. Les embauchées sont alors essentiellement des veuves, des épouses ou filles de directeurs, mais le symbole est tout de même fort !

Puis vient la Révolution française, et c’est le coup d’arrêt. Dès 1793, les femmes sont par décret entièrement exclues de la fonction publique administrative et militaire. Celles qui demeurent employées sont souvent des religieuses qui œuvrent dans les secteurs qui leurs sont traditionnellement dévolus, tels l’administration hospitalière et pénitentiaire (où la division selon le sexe est de rigueur bien entendu).

Un XIXe siècle de détente et de débats

Puis vient le XIXe siècle, et l’emploi des femmes se détend peu à peu. Les voilà de nouveau admises dans l’administration des Postes, par exemple. Elles ne peuvent toutefois qu’exercer des fonctions dont le revenu est inférieur à 2 000 francs. De même, si elles accèdent à l’Atelier général du Timbre et à l’Imprimerie royale, c’est en qualité d’ouvrières plutôt que de fonctionnaires.

Alors que Jacques Boucher de Perthes, Directeur des Douanes et célèbre préhistorien, écrit en 1859 qu’il serait souhaitable que tous les postes soient ouverts aux femmes*, on constate une arrivée massive de femmes dans l’administration centrale, essentiellement à titre d’auxiliaire, une condition qui reste précaire. C’est notamment le cas des nombreuses femmes embauchées par le ministère des Finances en 1877, lorsqu’il est décidé de réaliser un double du Grand Livre. Mais à présence croissante, polémiques croissantes ! Certains vont même jusqu’à affirmer que les femmes, « grâce à leur grâce naturelle plus que grâce à leurs compétences, se voient ouvrir toutes les carrières et avancements » (extrait de L’écho des ministères du 16 janvier 1895) ! Une affirmation pourtant loin de la réalité de l’époque car à la fin du XIXe siècle, l’auxiliariat féminin les cantonne à un rôle subalterne de main d’œuvre utile.

Bureau de dactylographes au ministère des finances, vers 1920. Photo : M. Lavanture.

Bureau de dactylographes au ministère des Finances, vers 1920. Photo : M. Lavanture.

L’entrée dans un nouveau siècle de luttes

Trop c’est trop ! Face à la condition qui leur est réservée, les femmes rejoignent dès 1906 les grandes grèves des Postes Télégraphes et Téléphones (PTT). Et c’était osé, car la grève était alors interdite dans la fonction publique : les femmes utilisent donc ce moyen de pression pour la première fois dans l’administration, au même titre que les hommes.

C’est une véritable révolution féminine des bureaux qui touche tous les pays au début du XXe siècle, et qui marque la fonction publique française avec un symbole : la dactylographe. Le premier concours pour « dames dactylographes » est ouvert au ministère du Commerce en 1901, et, séduits par ce moyen de moderniser l’administration, neuf des douze ministères de l’époque ouvrent leur propre concours sur la décennie suivante. Qui sont les femmes ainsi recrutées par voie de concours ? Des veuves, des orphelines ou des célibataires, mais pas encore des femmes mariées !

Durant la Première Guerre mondiale, la position des femmes évolue en leur faveur et leur visibilité s’accroît dans l’administration. Ainsi, on dénombrera plus de 16 000 employées féminines au seul ministère de la Guerre, des dactylographes mais aussi des comptables, des commis, voire des cheffes de bureau. Dans certains ministères apparaîtront même des femmes au Cabinet !

Les grandes avancées ne se faisant pas sans sursauts, l’entre-deux-guerres est une période de contraste pour les femmes dans l’administration. D’un côté, la Grande Guerre a mis en évidence les archaïsmes de la mentalité en place, de l’autre, la promotion des femmes se verra stoppée par la crise économique de 1929. Face à la montée du chômage, les hommes s’intéressent de nouveau aux postes dans la fonction publique, et les reproches contre la présence croissante des femmes – 30 % des agents en 1930, contre 11 % vers 1890 – repartent de plus belle. En réaction à une politique de quotas limitant leur accès aux emplois publics, le Groupement général des femmes fonctionnaires (GGFF) se crée en 1931 pour lutter en faveur des droits des femmes.

Mais n’allez pas croire que je ne vois que le négatif : cette période est aussi marquée par un certain nombre d’avancées pour les femmes ! Des ministères commencent notamment à leur ouvrir la porte vers les grades supérieurs. A titre d’exemple, les femmes représentent 39% des cadres au ministère du Travail en 1933 ! Cette tendance incite le Conseil d’Etat à rendre, le 3 juillet 1936, une jurisprudence fondamentale : l’arrêt Demoiselle Bobard, reconnaissant l’aptitude légale des femmes aux emplois publics.

Et hop ! De nouveau un bond en arrière se profile avec le régime de Vichy qui, sous l’Occupation, vote la loi du 11 octobre 1940 interdisant l’emploi administratif aux femmes mariées. Dans les faits, de nombreux ministères les ont toutefois conservées dans leurs effectifs… et certaines femmes ont même été promues à des grades supérieurs à celui de rédacteur, leur permettant donc de devenir cadres. Comme quoi, le monde est souvent fait de contradictions !

L’après-guerre, un nouveau souffle

C’est à partir de 1944-45 que les plus importantes pages de l’histoire des femmes dans l’administration ont été écrites, tant grâce à la reconnaissance de leur rôle dans le fonctionnement de l’appareil d’Etat durant la guerre, qu’au sein de la Résistance, de l’administration de la France libre ou même sur le front.

La femme obtient ainsi rapidement le droit de vote et d’éligibilité, mais aussi l’accès à la haute fonction publique lors de la création de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), par ordonnance du 9 octobre 1945. L’égalité des deux sexes dans la fonction publique est quant à elle entérinée dans le statut général de la fonction publique du 19 octobre 1946. Ces bouleversements permettront aux femmes d’atteindre régulièrement, et sans trop de polémiques, des postes d’encadrement… vu la situation actuelle qui n’est toujours pas idéale, j’imagine tout de même qu’elles ont dû jouer des coudes pour faire face à la résistance des mentalités patriarcales !

Quoi qu’il en soit, dans ce XXe siècle, les mutations techniques et l’implication des femmes dans la vie du pays ont contribué à redéfinir progressivement leur rôle. Terminé le temps où l’on percevait la femme comme supérieure à l’homme pour les seules missions de tri, classement, et autres tâches basiques ! L’évolution des mentalités conduira également progressivement à la mise en place de bureaux mixtes qui changeront aussi l’espace et l’imaginaire administratifs.

Un XXIe siècle au féminin ?

De nos jours, les femmes représentent 60% des fonctionnaires, mais si ce statut garantit l’égalité de traitement de tous les agents, des inégalités demeurent. Salaires, primes, temps de travail, accès aux postes de direction… il reste encore une bonne marge de progression dans tous ces domaines !

Avec une prise de conscience de plus en plus forte des institutions et une opinion publique acquise à la question de la parité, des engagements sont désormais pris, notamment dans la haute fonction publique, où les femmes s’étaient toujours faites rares.

Les ministères de l’Economie et des Finances, et de l’Action et des Comptes publics, se sont notamment engagés dans un plan d’action en faveur de la diversité et de l’égalité professionnelle femmes-hommes, instaurée dans la fonction publique par la loi du 12 mars 2012, dite loi Sauvadet. A titre d’exemple, les femmes représentaient déjà 32,1% des nominations dans l’encadrement supérieur à Bercy, en 2016, et très récemment, les ministères économiques et financiers ont obtenu la double labellisation Diversité et Egalité professionnelle.

Couverture du rapport annuel sur l’égalité professionnelle, Direction générale de l’administration et de la fonction publique, édition 2016.

Rapport annuel sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique, éd. 2016

 

Il semble plutôt encourageant que l’administration publique donne l’exemple en matière de mixité et de parité. Souhaitons que ces intentions, couplées aux efforts également réalisés dans le secteur privé – les banques en donnent un bon exemple ! – permettent à notre société d’évoluer vers toujours plus de justice sociale envers les femmes. En tout cas, cette petite escapade dans l’histoire de la fonction publique aura apporté un éclairage complémentaire à mes recherches précédentes : j’espère que cela vous a plu !

Bibliographie :

  • Guy THUILLIER, Les femmes dans l’administration depuis 1900, Paris, PUF, 1988
  • Vida AZIMI, La féminisation des administrations françaises : grandes étapes et historiographie, Revue française d’administration publique, 2013/1, n°145

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