Tout simplement. C’est ce qu’affirme le dessinateur Michel Guiré-Vaka dans cette publicité réalisée en 1970 pour la Société générale. Mais est-ce si simple que cela ?

Annonce publicitaire de la Société Générale, parue dans la presse en 1970. Illustration de Michel Guiré-Vaka, logo signé Noël Pasquier

Annonce publicitaire de la Société Générale, parue dans la presse en 1970. Illustration de Michel Guiré-Vaka, logo signé Noël Pasquier

 

J’ai trouvé cette affiche au cours de mes recherches sur l’évolution de la place et de l’image des femmes dans les publicités des établissements bancaires. A force d’écumer les services d’archives des banques et de fréquenter les salles de lecture, j’ai fait de belles trouvailles… et il me semblait que celle-ci méritait un billet à part entière !

Parlons d’abord du titre : « La femme est l’égale de l’homme ». Point. Cette phrase est énoncée telle une sentence. Comme gravée dans le marbre, elle n’appelle ni commentaires ni contradictions. Et pour cause : la loi, c’est la loi ! Et pas n’importe laquelle : celle du 13 juillet 1965, qui accorde aux femmes le droit d’ouvrir un compte en banque et de travailler sans le consentement de leur mari. Cette réforme des statuts matrimoniaux a été une réelle révolution des mœurs et il faut se dire que les habitudes et représentations sociales n’ont certainement pas radicalement changé du jour au lendemain…

Mais le mouvement de Mai 68 passent par là, et en 1970, c’est sûrement le bon moment pour s’adresser plus spécifiquement aux femmes ! Et on peut dire que Guiré-Vaka n’y va pas par quatre chemins.

Cinq ans après la loi de 1965, cette publicité s’inscrit dans une période où les particuliers, hommes et femmes, arrivent en masse dans les banques : les salaires sont mensualisés et sont versés obligatoirement sur un compte en banque. Parmi les services bancaires les plus diffusés, on remarque une promotion particulière du chèque, dont la femme sera d’ailleurs présentée comme une prescriptrice.

 

Liberté, égalité, citoyenneté !

Portant le pantalon et coiffée d’un bonnet phrygien, la femme représentée sur l’affiche brise les chaînes qui l’entravaient et montre fièrement son carnet de chèques estampillé Société Générale. Que de symboles entrecroisés !

L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, François-Auguste Biard, huile sur toile, 1849. CC.

L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, François-Auguste Biard, huile sur toile, 1849. CC.

Tels les esclaves des colonies françaises se libérant de leurs chaînes en 1848, le personnage de Guiré-Vaka s’affirme comme citoyenne à part entière. Le moins qu’on puisse dire c’est que la comparaison est puissante, elle ne peut laisser indifférent.

Je vous cite le début du texte de l’affiche : « 13 juillet 1965 : ce jour-là, la femme que vous êtes a eu la possibilité d’ouvrir un compte de chèques, tout comme un homme. » Nous y voilà, ce « tout comme un homme » nomme et retire immédiatement la barrière qui séparait auparavant les femmes et les hommes dans leur citoyenneté. S’il n’est pas nouveau que la publicité s’adresse aux femmes, le message se fait ici plus subtile : il incite indirectement à la consommation en mettant en avant la compréhension de la condition féminine et des valeurs partagées par la marque.

 

Un manifeste en faveur des femmes

Rédigé tel un tract portant des revendications politiques (on y parle carrément de « justice » !), le texte de l’affiche énumère des exemples très précis de la vie quotidienne des femmes, pour les toucher au cœur. Le marché, les allocations familiales, les factures de gaz et de téléphone… la Société Générale propose, grâce à ses services bancaires, d’aider à la gestion du quotidien en « supprimant deux femmes de trop en vous : celle qui fait le secrétariat des factures et celle qui comptabilise les dépenses ».

J’adore ce passage ! Dans le fond comme dans la forme, je trouve cette publicité moderne, percutante, audacieuse. Car elle s’adresse à l’intelligence des femmes, et non plus seulement à leur raison sociale. D’ailleurs, ce « manifeste » en faveur de l’émancipation des femmes de leur rôle traditionnel, ne manque pas d’écorcher au passage, et non sans humour, l’image des hommes qui « rêvent d’argent mais vous laissent la réalité du prix de la vie ».

Et si on faisait un petit comparatif ? Ces publicités de la même banque sont parues dans Paris Match dans les années 1960 ; avec un style graphique très « rétro », elles vantent les services et l’amabilité du personnel de la Société Générale. L’ « obligeance » et la « courtoisie » comme argument publicitaire, c’est… comment dire…. pas très Guiré-Vaka !

Campagne publicitaire dessinée par Pierre Couronne pour la Société Générale en 1963. © Pierre Couronne. Archives historiques Société Générale

Campagne publicitaire dessinée par Pierre Couronne pour la Société Générale en 1963. © Pierre Couronne. Archives historiques Société Générale

Campagne publicitaire dessinée par Pierre Couronne pour la Société Générale en 1963. © Pierre Couronne. Archives historiques Société Générale

Campagne publicitaire dessinée par Pierre Couronne pour la Société Générale en 1963. © Pierre Couronne. Archives historiques Société Générale

La banque de masse illustrée

Il faut dire que Michel Guiré-Vaka, avant de se spécialiser dans l’illustration de livres pour enfants, a longtemps mis son talent au service de la presse et de la publicité. Pour la Société Générale, il aura ainsi réalisé toute la campagne « Ne vivez plus en marge de la Société Générale », dont fait partie « La femme est l’égale de l’homme ».

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.
Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.
Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Cette campagne met en scène l’appel de la « banque de masse », ou « bancarisation », à l’ensemble des salariés pour qu’ils rejoignent la banque commerciale de dépôt. Et les femmes, au même titre que les hommes !

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Campagne publicitaire composée d’affiches, d’annonces presse et d’objets d’après les dessins de Michel Guiré-Vaka pour la Société Générale parue entre 1968 et 1972. © Michel Guiré-Vaka. Archives historiques Société Générale.

Ces affiches font partie d’une réelle saga publicitaire, reflet de la société contemporaine, dont il serait intéressant d’étudier les différentes campagnes depuis le XIXe siècle. Avec la généralisation des services bancaires dans les années 1960, les grands établissements ne cherchent plus seulement à informer, mais à séduire la clientèle pour la fidéliser. Pour cela, ils s’appuient sur des artistes et créatifs qui savent capter et restituer l’air du temps. En utilisant, en 1970, la cause des droits des femmes comme base argumentaire, on peut dire que Guiré-Vaka a su relever le défi !

 

 

En savoir plus : 

Banque et identité commerciale, la Société Générale 1864-2014, Hubert Bonin, Presses universitaires du Septentrion, 2014.

De la réclame au tweet, Paul Dietschy, coffret Société Générale de 1864 à 2014, Nouveau Monde éditions, 2014.

Michel Guiré-Vaka :

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Saga publicitaire Société générale :