A l’occasion de recherches précédentes, j’ai déjà parlé dans ce blog de l’importance du mobilier et des environnements de travail qui ont eu un impact fort sur la vie et le travail des employés – dont une large majorité de femmes – dans les établissements bancaires. Si nous sommes aujourd’hui habitués à n’avoir pour outil qu’un ordinateur portable, une connexion internet et un téléphone, il n’en était pas de même jusque très récemment !

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les banques font face à plusieurs difficultés : le volume des opérations bancaires est décuplé, la concurrence devient de plus en plus forte, et le coût de la main d’œuvre s’envole avec l’inflation. Le secteur bancaire s’interroge alors : comment gagner en efficacité et en productivité ? Eh bien nous y voilà, c’est l’adoption de machines à écrire et d’équipements de mécanographie importés des Etats-Unis qui leur a permis de rester dans la course et de s’adapter à une société nouvelle. Et ce sont principalement des femmes qui vont se retrouver à œuvrer au cœur de ces nouveaux dispositifs techniques, du moins dans les premiers temps…

Sténo-dactylo, kézako ?

Commençons par parler de la machine à écrire, cet instrument “vintage” a été une véritable révolution pour les employés de bureaux qui, auparavant, rédigeaient l’ensemble des documents professionnels à la main. Quel travail fastidieux ! Voici donc une petite histoire de la machine à écrire pour mieux comprendre ce qu’elle a changé dans le monde du travail, notamment pour les emplois féminins.

Introduite dès l’aube du XXe siècle, la machine à écrire a surtout été diffusée dans les services des banques après la Première Guerre mondiale. Avec elle, les courriers sont rédigés bien plus rapidement et il est désormais possible de produire des documents en plusieurs exemplaires, plus lisibles que les lettres manuscrites que l’on passait auparavant à la presse à copier.

Les métiers de dactylographe (employé chargé d’écrire ou retranscrire des textes à la machine) et de sténodactylographe (dactylographe qui maîtrise la prise de note en sténographie) se multiplient et la profession se féminise. La sténographie ? Il s’agit d’un procédé d’écriture simple et rapide, formé de signes abréviatifs et conventionnels, qui permet de transcrire la parole aussi rapidement qu’elle est prononcée. Les sténographes sont donc de véritables championnes de la prise de note ! Regardez cette écriture, on la croirait venue d’une autre civilisation, c’est plutôt intriguant :

Test d’entrée à l’embauche d’une sténo-dactylographe. 1945. HSBC France, Archives historiques.

Test d’entrée à l’embauche d’une sténo-dactylographe. 1945. HSBC France, Archives historiques.

La dactylographie est devenue une spécialité très recherchée à partir des années 1920. De nombreuses jeunes femmes et employées se sont ainsi formées et ont pu évoluer dans divers services bancaires. En effet, les dactylographes doivent utiliser leurs dix doigts avec rapidité et précision, sans regarder les touches du clavier. Cela nécessite un apprentissage rigoureux et bien spécifique ! Pour se former à la sténodactylographie, des cours spécialisés étaient dispensés par différents organismes : des écoles commerciales, des écoles pratiques de commerce et d’industrie, ou encore les cours supérieurs des écoles primaires. Souvenez-vous, dans le premier tweet-documentaire que j’ai réalisé, Eugénie qui travaillait avant la Grande Guerre au service des coupons-titres d’une banque, a finalement suivi une formation pour devenir dactylographe : ce nouveau métier représentait un réel espoir d’émancipation pour les femmes de l’époque !

Lettre d’une employée s’étant formée à la dactylographie à l’occasion d’un congé, 1928. HSBC France, Archives historiques.

Lettre d’une employée s’étant formée à la dactylographie à l’occasion d’un congé, 1928. HSBC France, Archives historiques.

Certificat d’aptitude à la sténodactylographie et recommandation pour l’embauche d’une employée en 1934. HSBC France, Archives historiques.

Certificat d’aptitude à la sténodactylographie et recommandation pour l’embauche d’une employée en 1934. HSBC France, Archives historiques.

L’arrivée de la mécanographie

 

Mais la machine à écrire, si elle est la « star » du bureau, n’est pas le seul outil nécessaire aux employés de banque ! A ses côtés on trouve aussi des machines à calculer, des machines à additionner – à imprimantes et non imprimantes -, des machines à adresser le courrier… Si tout cela semble d’un autre temps, rappelons-nous que nos outils technologiques modernes ne sont que le résultat de l’évolution de ces incroyables machines !

Publicités pour la machine à additionner National, années 1940.
Publicités pour la machine à additionner National, années 1940.

Publicités pour la machine à additionner National, années 1940.

La principale innovation réside toutefois dans l’importation de machines comptables fabriquées aux Etats-Unis, notamment les machines à cartes perforées, qui sont à l’origine de ce que l’on appelle la mécanographie, principe visant à mécaniser le traitement de l’information. Et cette nouvelle technologie va révolutionner la vie des bureaux dans l’entre-deux-guerres…

Inventée par l’Américain Herman Hollerith en 1886, la mécanographie est d’abord utilisée à des fins statistiques. Pour les besoins du recensement américain de 1890, Hollerith fait de la carte perforée déjà existante – sur laquelle on peut enregistrer de multiples informations en poinçonnant la carte à certains endroits – le premier support universel de données. Il conçoit dès lors des machines capables d’exploiter ces cartes au format standardisé et de créer le premier système commercialisé de traitement de données de tout type. La société Tabulating Machine Compagny d’Herman Hollerith donnera naissance à IBM en 1924.

Une carte perforée (source Wikicommons)

Une carte perforée (source Wikicommons)

Révolution, disais-je, et bien oui car c’est la première fois que des machines remplacent les humains dans une tâche de traitement de données d’envergure, qui était jusque-là réalisée à la main par des employés de bureau.

Atelier de mécanographie, 1955. HSBC France, Archives historiques.

Atelier de mécanographie, 1955. HSBC France, Archives historiques.

Très rapidement, les fonctionnalités des machines de mécanographie se diversifient et les grandes entreprises les adoptent, notamment dans les secteurs de l’industrie, de la banque et du commerce. Dans le secteur bancaire, le système mécanographique des « machines à statistiquer » est composé de plusieurs éléments : des cartes perforées de format standardisé, une perforatrice, une tabulatrice et une trieuse.

La première étape est le transfert des informations, dans laquelle une opératrice (car c’est bien souvent une femme !) traduit en perforations les renseignements concernant chaque opération bancaire : sa nature (versement, virement, opération de bourse), le sens du mouvement (compte à créditer ou à débiter), sa grandeur (somme versée ou touchée), etc. Les lots de cartes sont ensuite transmis à l’opératrice de tabulatrice, machine qui remplace la comptabilisation manuelle et lit l’ensemble des informations de la carte. Puis, en fonction des besoins de l’opération, la carte est classée dans l’un des casiers de la trieuse.

Vers des machines toujours plus performantes

Après la Seconde Guerre mondiale, la rationalisation et la recherche d’une meilleure organisation du travail se poursuit. L’emploi de « trains de machines à cartes perforées » se généralise et permet d’accroître la vitesse des opérations. Ainsi, au début des années 1950, une trieuse classe les cartes à la vitesse de 650 à la minute, une tabulatrice peut quant à elle imprimer et additionner 100 lignes et 100 chiffres, et les calculatrices traitent 6000 opérations à l’heure. Pour l’époque, c’est une réelle performance !

Une opératrice de mécanographie sur une machine Bull, vers 1960. HSBC France, Archives historiques.

Une opératrice de mécanographie sur une machine Bull, vers 1960. HSBC France, Archives historiques.

La mécanographie connaît alors des applications multiples. Les cartes perforées sont désormais employées pour les comptes courants, les relevés de titres et de droit de garde, les crédits de coupons, les listes et débits de souscriptions, les bordereaux d’effets, la situation des risques, le service du personnel ou encore le paiement des employés. Et pour illustrer cela, je n’ai trouvé dans les archives que des photographies de femmes au travail !

Le travail des mécanographes, tout comme celui des dactylographes, nécessite une grande attention et une importante capacité de concentration. Nous ne nous en rendons pas forcément compte en regardant ces photos d’archives, mais il est aussi souvent fatigant en raison du bruit des machines et de la manipulation des lourds tiroirs des cartothèques…

A son apogée, dans les années 1950, le métier de mécanographe s’apprend dans les collèges et les lycées techniques. Le personnel travaillant dans les ateliers de mécanographie est aussi souvent formé directement par les constructeurs de ces machines aux caractéristiques bien spécifiques.

Un centre administratif régional, vers 1960. HSBC France, Archives historiques.

Un centre administratif régional, vers 1960. HSBC France, Archives historiques.

Le métier est pourtant voué à disparaître progressivement avec l’arrivée de l’informatique : les programmeurs vont succéder aux mécanographes. Et c’est là que va s’opérer un étonnant renversement des rôles puisque les programmatrices, logiquement présentes au débuts de l’informatique, vont très rapidement se faire éclipser par leurs homologues masculins…

Les premiers pas de l’informatisation

En 1959, une nouvelle génération de machine arrive au Crédit commercial de France : le calculateur Bull Gamma 3 dit « Gamma tambour », en raison de son tambour magnétique qui permettait la conception et le stockage de véritables programmes enregistrés. Autrement dit, ce calculateur bénéficiait déjà d’une mémoire externe…

Tabulatrice et calculateur électronique, années 1950. HSBC France, Archives historiques.

Tabulatrice et calculateur électronique, années 1950. HSBC France, Archives historiques.

Avec l’accroissement de la clientèle dans les années 1960, les banques recherchent un nouveau matériel électronique, encore plus puissant : ce sera l’IBM 360. Ce matériel comporte de nombreuses innovations, dont la très grande compatibilité entre machines et la possibilité d’effectuer de la multiprogrammation. Les ordinateurs s’imposent dès lors massivement et marquent le passage de la mécanographie à cartes perforées à l’informatique moderne.

Calculateur IBM 360 modèle 40, 1966. HSBC France, Archives historiques.

Calculateur IBM 360 modèle 40, 1966. HSBC France, Archives historiques.

A la fin des années 1970, l’informatique se hisse au cœur de l’économie et devient indispensable aux échanges financiers et commerciaux. Les activités du secteur bancaire sont donc transformées par l’utilisation de ces nouvelles machines. En moins de cent ans, les métiers aussi ont été révolutionnés, et les employés ont dû s’adapter aux innovations successives à une vitesse fulgurante !

Cependant, si les femmes sont restées majoritaires dans les emplois de bureau liés au secrétariat et à la comptabilité, elles se font aujourd’hui encore bien rares dans les métiers de l’informatique… je ne m’explique pas cela. Grandes techniciennes, les sténodactylographes et mécanographes d’hier pourraient très bien devenir les informaticiennes et les programmatrices de demain ! Les stéréotypes de genre ont malheureusement toujours cours, malgré les efforts des nouvelles générations et des écoles supérieures qui semblent aujourd’hui plus concernées par la question de la mixité, perçue comme une force. Pour ma part, je continuerai de faire la lumière sur les pionnières qui ont marqué notre société !

Quelques sources bibliographiques :

  • Hubert Bonin, « The development of accounting machines in French banks from the 1920s to the 1960s », dans Accounting, Business & Financial History, novembre 2004, p. 257-276.
  • Jean-Pierre Daviet et Michel Germain,Crédit commercial de France. Une banque dans le siècle, Paris Editions Textuel, 1994
  • Paul Dietschy, « L’innovation au service du client » in Société générale de 1864 à nos jours, Paris, Editions Nouveau monde, 2014
  • Pierre Mounier-Kuhn, Mémoires vives. 50 ans d’informatique chez BNP Paribas, Paris, 2013, 196 p.
  • Cécile Omnès,La gestion du personnel au Crédit lyonnais de 1863 à 1939. Une fonction en devenir (genèse, maturation et rationalisation), Bruxelles, P.I.E. Peter Lang S.A., 2007

Quelques liens sur le web :