A consulter toutes ces archives sur l’histoire des femmes dans les banques, je me suis rendu compte qu’elles étaient souvent cantonnées au rôle de « petites mains ». Même si les choses ont maintenant bien changé avec, depuis les années 1980, l’arrivée des femmes à de hautes fonctions, je me suis demandé qui pouvaient être les premières femmes à obtenir des postes à responsabilité. Bref, je suis partie à la recherche des « pionnières » du secteur bancaire.

J’avais déjà évoqué le cas de Marthe Hanau, « la banquière des années folles », mais en consultant de nouvelles archives, je suis remontée encore plus loin dans le temps ! Voici le portrait de trois femmes d’exception, qui méritent de sortir de l’ombre.

Madame Trouvé remplace son mari

Encore une fois, c’est la Première Guerre mondiale qui déclenche tout. La Caisse Régionale de Crédit Agricole de Seine-et-Oise n’a qu’une dizaine d’années d’existence lorsque le conflit éclate. Son directeur, Georges Trouvé, un agriculteur de profession reconverti dans la comptabilité, est mobilisé dès le début des hostilités. Mais il faut bien que l’établissement fonctionne… ni une ni deux, sa femme, madame Trouvé (son prénom n’apparaît pas dans les documents), propose immédiatement de le remplacer.

Monsieur et madame Trouvé vers 1930. Photographie extraite du livre de René Frinault, Histoire de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Seine-et-Oise (1904-1967), 1972.

Monsieur et madame Trouvé vers 1930. Photographie extraite du livre de René Frinault, Histoire de la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Seine-et-Oise (1904-1967), 1972.

Il faut dire que les bureaux de la Caisse Régionale se situent alors… chez elle ! Dans cet établissement de crédit encore modeste, le nombre d’opérations ne nécessite encore ni de grands locaux ni une main d’œuvre abondante. C’est donc madame Trouvé qui écrit à la main des centaines de lettres aux femmes d’agriculteurs mobilisés pour essayer d’obtenir le remboursement des crédits. En période de guerre, l’argent devient rapidement une affaire de femmes…

Il semble d’ailleurs que madame Trouvé ne soit pas la seule femme à se trouver dans la situation de devoir suppléer à son mari à la tête d’un établissement bancaire pendant la Grande Guerre. J’ai par exemple identifié une certaine madame Fert qui a elle aussi remplacé son mari mobilisé comme présidente de la Caisse Locale de Crédit Agricole de Montfort (Var).

Concernant Georges Trouvé, il a repris son poste de directeur à son retour de la guerre, fonction qu’il occupera jusqu’en 1930.

Louise Tallerie, première femme directrice de caisse régionale

Légende : Photographie de Louise Tallerie. Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Légende : Photographie de Louise Tallerie. Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Louise Tallerie a 29 ans lorsqu’elle est embauchée en 1919 par le Service de la reconstitution agricole. Il faut dire que toutes les forces vives étaient les bienvenues pour reconstruire et réorganiser le pays suite aux ravages de la Première Guerre mondiale… d’autant que Louise est veuve d’un ingénieur électricien tué au front en 1917, elle doit donc subvenir seule à ses besoins, ainsi qu’à ceux de sa fille et d’un neveu à sa charge.

Cette jeune femme fait alors preuve d’un certain savoir-faire puisqu’elle devient rapidement responsable d’une équipe d’une vingtaine de personnes. Puis, en 1921, elle devient secrétaire générale de la toute nouvelle Caisse Régionale de Crédit Agricole des Ardennes. Son action au service de l’entreprise est récompensée par sa nomination en janvier 1927 au poste de directrice. C’est une première ! Malheureusement, cela ne se reproduira pas avant un bon moment…

Louise Tallerie restera à ce poste jusqu’en 1956, imprimant l’entreprise de sa marque de femme courageuse et compétente. Mais son « fait d’armes » le plus prestigieux date de 1940, lorsqu’elle décide d’évacuer la Caisse Régionale et, notamment, ses archives, devant l’avancée des Allemands. Commence alors pour elle une longue odyssée pour sauver les avoirs et les dossiers de ses clients.

Aidée de sa fille et d’un employé, elle charge les livres de comptes et les dossiers confidentiels dans une voiture, et quitte Charleville-Mézières pour la petite ville de Rethel (Ardennes). L’armée allemande sur les talons, elle se replie ensuite successivement à Montreuil-aux-Lions (Aisne), Paris, Blois, Vigoux (Indre) et enfin dans le Limousin où, toujours chargée des livres de comptes de la Caisse régionale, elle apprend la capitulation de l’armée française. Elle remonte alors à Paris pour obtenir de la Caisse Nationale de Crédit Agricole une lettre de mission pour retourner faire son travail à Charleville-Mézières, au service des agriculteurs ardennais.

La gestion du personnel de la Caisse Régionale par Louise Tallerie est également assez particulière pour son époque : jusqu’en 1931 elle compte essentiellement une main d’œuvre féminine et, en 1942, elle confie la direction du premier bureau auxiliaire à la veuve du secrétaire de la Caisse Locale de Rethel. Durant toute sa carrière elle aura eu à cœur de promouvoir et de former ses collaboratrices. Cette femme passionnée par son métier avait également un petit côté militante féministe !

Madeleine Landy-Degon, brillante économiste

Le crédit agricole : sources, formes, caractères, fonctionnement en France et dans les principaux pays, Madeleine Landy-Degon, Ed. Librairie du Recueil Sirey, 1939.

Le crédit agricole : sources, formes, caractères, fonctionnement en France et dans les principaux pays, Madeleine Landy-Degon, Ed. Librairie du Recueil Sirey, 1939.

Préparez-vous à rencontrer une autre femme de tête ! Madeleine Landy naît en 1912 à Paris. En 1931, elle passe un concours pour entrer à la Caisse Nationale de Crédit Agricole comme « commis d’ordre et de comptabilité », puis la voilà promue, par voie de concours interne, « secrétaire rédacteur et comptable » en 1935 ! Dès lors, elle se passionne pour l’organisme qui l’emploie, obtient un diplôme de l’Institut des hautes études internationales et, l’année suivante, dépose un manuscrit sur le crédit agricole pour le Prix Rossi d’économie politique, organisé par l’Institut de France.

Non seulement elle décroche le prix, qui n’avait jusqu’alors jamais été attribué à une femme, mais elle l’obtient intégralement alors qu’il était auparavant d’usage de le partager entre plusieurs lauréats ! Cette distinction lui permet de publier son étude en 1939, sous la forme d’un ouvrage qui initiera plusieurs générations de cadres du Crédit Agricole au fonctionnement de l’institution.

De nouveau, la guerre éclate… Madeleine Landy-Degon quitte alors son poste en 1940 pour se retirer dans l’Aude et entrer dans la Résistance avec son mari. Ensemble, ils accueillent dans leur exploitation agricole des réfugiés allemands antinazis qu’ils aident à exfiltrer hors de France.

Madeleine Landy-Degon et un collègue devant leur logement détruit à Blois, lors de l’exode de la CNCA en 1940. Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Madeleine Landy-Degon et un collègue devant leur logement détruit à Blois, lors de l’exode de la CNCA en 1940. Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Madeleine Landy-Degon, c. 1940. Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Madeleine Landy-Degon, c. 1940. Crédit Agricole S.A., Archives historiques.

Après une expérience dans le journalisme, elle réintègre finalement en 1950 la Caisse Nationale du Crédit Agricole, au service Etudes et documentation. Enfin, elle participe en 1965 à la création du premier service international de l’établissement, avant de partir pour une retraite bien mérité en 1972. Ce n’est qu’en 2015, à 102 ans, qu’elle est décorée de la Légion d’honneur. Une vie bien remplie !

Alors, ces trois pionnières aux parcours très différents vous inspirent ? Ce que je trouve remarquable pour ma part, c’est que si elles n’étaient ni capables juridiquement, ni financièrement autonomes, elles n’en étaient pas moins compétentes pour les questions d’argent, et elles l’ont prouvé ! Alors aujourd’hui, je lève mon chapeau à madame Trouvé, Louise Tallerie et Madeleine Landy-Degon.

Et si les histoires de femmes engagées vous passionnent vous aussi, vous pouvez relire mon article sur l’histoire sociale des banques au féminin, et (re)découvrir le portrait de trois femmes montées à la tribune pour défendre les droits des femmes !

Bibliographie :

  • Histoire de la Caisse Régionale de Crédit Agricole de Seine-et-Oise (1904-1967), René Frinault, 1972.
  • Le crédit agricole : sources, formes, caractères, fonctionnement en France et dans les principaux pays, Madeleine Landy-Degon, Ed. Librairie du Recueil Sirey, 1939.

Autres sources :