Voici maintenant plus de cinq mois que j’ai fait mon entrée dans le monde des archives. Grâce aux dossiers du personnel, j’ai pu retracer un siècle d’évolution du droit des femmes. Carrière, candidature, etc. j’ai également constaté que les métiers féminins nous disent beaucoup de leur époque. Ces thématiques font d’ailleurs l’objet de recherches aujourd’hui.
C’est pourquoi j’ai demandé aux « femmes qui comptent » d’aujourd’hui, des expertes, des femmes engagées, des professionnelles des banques et des archives, etc. de me donner leur point de vue. Avec elles, je veux comprendre pourquoi mon projet est toujours ancré dans l’actualité.
Aujourd’hui, je donne la parole à Marianne Thivend, maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université Lumière Lyon 2, LARHRA.
Je la remercie très sincèrement pour cette carte blanche.

carte blanche marianne thivend

Formation = promotion ? Le cas des employées de banque au 20e siècle

 

Par Marianne Thivend

 

En France comme dans d’autres pays de l’Europe industrialisée sont fondés, dès les années 1860, les premiers cours professionnels féminins, à l’initiative de groupes philanthropiques, de sociétés de type philotechniques, voire de groupes féminins / féministes. Organisés en journée (écoles Lemonnier à Paris par exemple) ou en soirée (cours de comptabilité de Lyon, cours de la Chambre de commerce de Paris), ces cours entendent créer de nouvelles opportunités professionnelles pour les femmes des petites classes moyennes et légitimer, par l’instruction reçue, leur accès au marché du travail qualifié. L’instruction commerciale est là prioritaire, autant pour former les femmes aux métiers de toujours – produire des commerçantes avisées -, qu’aux nouveaux emplois de l’administration et de bureau.
Les directrices Elise Luquin à Lyon ou Marguerite Malmanche à Paris, se félicitent alors de ce que les grands établissements de crédit, Crédit Lyonnais, Société Générale, ouvrent grandes leurs portes à ces diplômées d’un nouveau genre. Munies d’une bonne culture commerciale, faite de comptabilité, de correspondance commerciale et de langues vivantes, ces jeunes femmes ne sont pourtant pas embauchées comme leurs camarades masculins comme commis de banque, aux postes polyvalents et en contact avec la clientèle, mais au service du téléphone, de la conservation des titres ou des coupons. Leur diplôme pèse alors moins que leur sexe pour déterminer les tâches à effectuer, monotones et répétitives, leurs salaires, nettement inférieurs à ceux des hommes, et leurs perspectives de carrière, minces.
La Grande Guerre et les décennies suivantes accélèrent le processus de féminisation du personnel bancaire sans que la position subalterne occupée par les femmes ne soit remise en question. La segmentation sexuée du travail bancaire se consolide, assignant les femmes aux machines du bureau, sans perspective de carrière, quand les hommes s’occupent des fonctions commerciales, avec promotion à la clé. La formation professionnelle participe largement de cette construction inégalitaire, spécialisant les jeunes filles au commerce dit « passif », fait de sténo-dactylo, et les jeunes garçons au commerce dit « actif » en lien avec la vente. Les banques, qui repensent la gestion de leur personnel après les grandes grèves de 1925, se préoccupent désormais de leur propre formation en interne, encouragées par ailleurs par la loi Astier de 19191 qui rend obligatoire l’instruction professionnelle pour les moins de 18 ans déjà au travail. Les politiques de formation sont alors nettement sexuées comme à la Société Générale qui crée en son sein une école de mécanographie en 1930, puis de dactylographie en 1945, toutes deux fréquentées exclusivement par des employées, pour renforcer leurs aptitudes aux postes sur machines. Pendant l’entre-deux-guerres, les femmes n’ont encore guère accès aux préparations au CAP commis de banque mises en place par le Centre d’enseignement technique de la banque (dès 1932), « premier » diplôme véritable sésame pour la promotion interne. En 1963, ce CAP, rebaptisé « employé de banque », reste un bastion masculin, avec seulement 24 % de femmes parmi les lauréat·es (689 lauréates).
Les archives de la Société Générale livrent peu à peu les indices de cette difficulté pour les femmes de se voir reconnaître un accès égal aux formations, qu’elles soient initiales et continues. Il faut attendre la généralisation de la mixité scolaire dans les années 1970 et la mise en place de politiques salariales plus égalitaires pour que la formation rime enfin avec promotion pour les femmes de la banque2.

1 Voir l’introduction de Catherine Omnès à l’ouvrage dirigé par Patrice Baubeau, Chantal Cossalter et Catherine Omnès, Le salariat bancaire, enjeux sociaux et pratiques de gestion, p 15-27, Presses universitaires de Paris ouest, 2009.
2 Voir le travail en cours de Marine Mounier sur les formations professionnelles à la Société Générale au 20e siècle (Master d’histoire, soutenance prévue en juin 2018).