Vous l’aurez compris, j’ai commencé à m’intéresser de près aux publicités conservées dans les archives des banques pour tenter de décrypter la manière dont les femmes y sont représentées. Mais dans la multitude des documents conservés par les services d’archives historiques, j’ai trouvé bien d’autres pépites !
Par exemple, cette réclame de 1929 qui vante les mérites du siège FLAMBO :
Moi qui aime bien chiner du mobilier ancien dans les brocantes, son côté « vintage » m’a plu dès le début ! Les objets du quotidien sont souvent vus comme des accessoires, mais avec le temps on réalise bien souvent leur importance dans la vie des gens. D’utilitaires, les objets peuvent devenir sentimentaux, symboliques, voir même iconiques. Et c’est le cas de cette chaise de travail FLAMBO. Avant de devenir un objet recherché des collectionneurs, j’ai découvert qu’elle avait joué un grand rôle dans l’amélioration des conditions de travail des employés de bureau…
Ou devrais-je dire des employées ! Car il n’a échappé à personne que sur cette page publicitaire, c’est une femme à son poste de travail qui illustre les avantages du siège FLAMBO. Elle tape à la machine, elle consulte, manipule et transmet des dossiers… elle effectue un travail administratif « classique ». Une impression de déjà vu… mais bien sûr ! Il ne m’a pas fallu longtemps pour retrouver bon nombre de photos conservées dans les archives bancaires sur lesquelles on peut voir ces chaises en métal. Et sur ces chaises : des femmes.
Car dans les établissements bancaires, les femmes occupent en grande majorité des postes administratifs, et ce depuis le dernier quart du XIXe siècle. Jusqu’à l’apparition de l’informatique, puis d’internet, les femmes employées de banques réalisaient des tâches souvent fastidieuses, répétitives et physiquement contraignantes. Leur santé devait s’en ressentir et les fins de journées devaient souvent rimer avec tensions musculaires et maux de dos. La faute à qui ? Aux vieilles chaises en bois bien sûr !
Le siège FLAMBO : « Diminuer la fatigue, c’est améliorer le rendement »
Au sortir de la Grande Guerre, les banques réalisent qu’elles ont tout intérêt à améliorer les conditions de travail de leurs employés pour une plus grande efficacité opérationnelle. « Diminuer la fatigue, c’est améliorer le rendement », scande la publicité pour le siège FLAMBO ! Cet argument semble avoir convaincu les établissements bancaires, qui ont rapidement plébiscité le mobilier de cette marque.
Je me suis renseignée sur l’histoire de ce mobilier, très innovant pour l’époque. C’est en 1926 que le dessinateur industriel Henri Liber, qui s’est lancé dès 1919 dans la fabrication industrielle de meubles et articles de bureau métalliques, dépose le brevet de la future chaise FLAMBO. Après quelques améliorations sur le modèle d’origine, il présente sa version définitive en 1929 : la M42. Crème de la crème, elle devient LA référence de la chaise de bureau et sera produite en grande série jusque dans les années 1970.
Techniquement parlant, qu’avait-elle de si particulier cette chaise ? Et bien elle était entièrement réglable pour s’ajuster à la morphologie et à la mobilité de l’utilisateur. Pour plus de confort, elle possédait un ressort à boudin permettant au dossier de basculer en arrière sans risque de se renverser et un coussin en mousse et caoutchouc. Attention, pas trop de confort non plus, car si le siège FLAMBO vise à limiter la fatigue de l’utilisateur, il ne faut pas risquer l’endormissement !
La chaise de bureau doit permettre de conserver la posture droite du dos pendant les longues heures imposées par le rythme des machines de bureau et les principes du taylorisme, exigeant discipline, précision et méthode : tout est à portée de main sur le bureau afin de réduire au minimum les déplacements au niveau du poste de travail.
A tel point que les M42 pouvaient être montées sur rails – c’est le système « Roule-Dactyle » – pour faciliter le déplacement des employées chargées de chercher et de mettre à jour les fiches de transactions des clients. Mais pas seulement… Un célèbre employé du Journal de Spirou, qui fête cette année ses 60 ans, en fait aussi un grand usage : Gaston Lagaffe !
D’ailleurs, on voit bien ces rails sur les photos de la Banque nationale de crédit :
Le mobilier : un outil de travail à part entière pour les métiers féminins
De nombreuses employées de banques ont bénéficié de ce siège FLAMBO : dactylographes, téléphonistes, couponnières, gestionnaires de fichier clients, mécanographes, poinçonneuses… autant de métier disparus ou totalement transformés depuis l’apparition des systèmes informatiques !
Extrait de film produit par l’Enseignement technique, « Le chèque » en 1954.
Ces photos sont très belles, mais c’est un petit reportage, trouvé dans le journal de la BNCI de 1951, qui m’a aidé à mieux réaliser dans quelles conditions travaillaient ces femmes. Il décrit l’ambiance et le fonctionnement du standard téléphonique de la BNCI – Banque nationale pour le commerce et l’industrie (ancêtre de BNP Paribas), tel un opéra où s’affairent opératrices et machinistes dans un ballet parfaitement organisé. Les téléphonistes devaient répondre et transmettre les appels incessants, un travail nécessitant agilité, concentration et rapidité dans un environnement bruyant.
Si la notion d’ergonomie ne fera son apparition que plus tard, dans les années 1970, pour être aujourd’hui largement utilisée dans la conception des aménagements des espaces de travail, on peut dire que le siège FLAMBO en aura été un précurseur. Et ce, pour le plus grand bonheur des amateurs de design industriel !
Pour en savoir plus :
Quand « employé » prend un « e » : l’arrivée des femmes dans la banque