Qu’elles me plaisent, ces archives ! Tellement que je suis retournée plusieurs fois au service des archives historiques de la banque où travaille mon ami Antoine. Je crois bien qu’il est maintenant convaincu par ma démarche. Curieux de voir où cela va mener, il s’est pris au jeu et m’aide beaucoup dans mes recherches : son soutien est très précieux !
Voilà, je me suis donc replongée dans les vieux dossiers… J’ai fouillé, observé, comparé, croisé les informations et les sources documentaires pour tenter de comprendre l’évolution des droits sociaux des femmes depuis la fin du XIXe siècle. Et je ne peux que constater le chemin parcouru…
Une politique sociale pour les banques
Aux origines des politiques sociales en entreprises, les années 1890 ont été marquées par une tendance forte : le paternalisme. Aïe ! J’ai le sentiment que l’on va partir de loin avec ce mot qui m’évoque avant tout la condescendance et l’infantilisation ! C’est pourtant avec ce mode de gestion sociale, à la fois bienveillant et autoritaire, que les grands entrepreneurs et industriels assuraient aux salariés divers avantages liés à la prévoyance, à la protection sociale, au logement, à l’éducation ou encore aux loisirs, dans le but de fidéliser et « reproduire » une main d’œuvre parfois en déficit.
Pour vous citer un exemple de politique sociale paternaliste, je n’ai rien trouvé de mieux… qu’une femme ! Attention, c’est une histoire de famille. La Baronne Brincard, fille du président-fondateur du Crédit Lyonnais, Henri Germain, et épouse du Baron Georges Brincard (qui lui succèdera en 1922 à la tête de l’établissement) s’investit dès l’aube du XXe siècle pour « venir en aide au personnel du Crédit Lyonnais », notamment dans les domaines de la famille et de la maternité.
Elle contribue notamment à instaurer des allocations « pour charge de famille » ainsi qu’un congé maternité payé de 30 jours, prolongé en cas d’allaitement. Pour autant, il ne s’agit pas de philanthropie ou de charité ! Les dirigeants des établissements financiers ont rapidement saisi l’importance des politiques de « bien-être social » en faveur des employés, pour conserver la main d’œuvre et maintenir un équilibre social favorable au développement de l’entreprise.
La période de la Grande Guerre a par la suite accéléré la mise en place de nouvelles politiques sociales dans les établissements financiers avec l’attribution d’aides diverses, non limitées aux personnels bancaires, en direction des femmes de mobilisés, des veuves, ou encore des réfugiés des régions envahies.
Dans l’entre-deux-guerres, les luttes et revendications sociales des travailleurs se renforcent. D’un côté les syndicats veulent éviter de fragiliser le Front populaire, de l’autre le patronat cherche à maintenir la paix sociale. Une sorte de pacte tacite entre les deux “camps” permettra d’aboutir à la signature de la première convention collective des banques en 1936.
En 1936 est signée la première convention collective des banques. Cette convention collective vient confirmer les conditions de travail et les avantages qu’offre le secteur bancaire à ses employés.
Quelles qu’en soient les motivations premières, il est clairement ressorti des documents d’archives que j’ai pu consulter que le secteur bancaire a su se montrer sensible aux diverses revendications sociales et a mis en place, au fil du temps, de nombreuses initiatives en faveur de ses employé(e)s.
Il paraît qu’une image vaut mieux qu’un long discours… Alors voici quelques extraits d’archives historiques trouvées au fil de mes recherches. Elles illustrent certaines structures ou actions sociales portées par les banques, concernant tant l’emploi que la santé ou les loisirs et qui ont sans aucun doute amélioré les conditions de vie des femmes employées :
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Prévoyance et assistance
Avant l’apparition des conventions collectives en 1936 et des comités d’entreprises en 1946, les établissements bancaires ont été amenés à créer des institutions de prévoyance et d’assistance pour assurer le bien-être de leurs employés et les fidéliser.
Le Comptoir national d’escompte de Paris (ancêtre de BNP Paribas) soutient en 1894 la création de l’Association amicale de secours des employés, assurant à ses membres les soins médicaux et pharmaceutiques, les frais en maison de santé et sanatorium, ainsi que les funérailles des employés de la banque. Cette initiative se prolongera par la création d’une Caisse de retraite et de prévoyance (1896), ainsi que d’une Caisse mutuelle féminine (1902).
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Secours mutuel
Les lois Strauss de 1913 rendent obligatoire le versement d’une allocation pendant le congé maternité. La Société Générale accorde six semaines de congés payés à ses employées titulaires mais aussi, chose plus rare, aux auxiliaires. Pourtant, cela reste en deçà de ce que propose le Crédit Lyonnais à ses employées : elles bénéficient en plus de deux semaines en demi-solde et d’une prime pour allaitement. Par ailleurs, une pouponnière est à leur disposition dès le 1er novembre 1909 et une mutuelle féminine est créée en 1910.
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Colonies de vacances
Les centres de vacances se développent rapidement après la Première Guerre mondiale et atteignent leur apogée entre 1930 et 1960. Les établissements bancaires proposent des séjours aux enfants de leurs agents, par le biais de leurs Comités d’entreprise.
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Activités sportives et culturelles
Sorte de comité d’entreprise avant l’heure, le Club athlétique de la Société Générale (CASG), créé en 1904, offre un catalogue varié d’activités sportives, culturelles et de voyages. A la Banque nationale pour le commerce et l’industrie (BNCI), le domaine de Louveciennes est mis à disposition des salariés (stade, minigolf, cours de tennis).
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Cantine et médecine du travail
Autres services rattachés aux comités d’entreprises : la cantine et le service médical.
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Arbres de Noël
Pour maintenir un lien fort entre les employés tout au long de l’année, les actions sociales des banques marquent les grands événements de l’année : fête des Catherinettes, 1er mai, arbres de Noël pour les enfants, colonies de vacances, etc.
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Orphelinat
Le Crédit Lyonnais, le Comptoir national d’escompte, la Banque nationale du Commerce et de l’Industrie et la Société Générale fondent en 1898 une association dédiée à la cause des orphelins: « L’Orphelinat des employés de banque et de bourse ».
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Coopératives
Pour pourvoir aux difficultés des familles des soldats mobilisés ou prisonniers, les banques développent un système de solidarité dès les années 1940. Les coopératives alimentaires permettent d’améliorer le sort de la population en contournant l’interdiction faite par le régime de Vichy d’augmenter les salaires. Ces structures perdureront après-guerre.
Des femmes à la tribune
Au cours du XIXe siècle l’industrialisation des sociétés occidentales a donc engendré de nouveaux contre-pouvoirs populaires et une montée en puissance des syndicats dans l’organisation du travail et de la vie des travailleurs.
En consultant les anciens dossiers d’employées de banques, j’ai très vite remarqué que nombre d’entre elles se sont engagées dans les luttes pour les droits des femmes ! Militantes, syndicalistes, femmes politiques… cette nouvelle exploration m’a permis de saisir l’importance des figures féminines dans le combat pour l’égalité hommes-femmes.
Alors, qui sont ces femmes qui ont lutté pour cette reconnaissance ? Comment ont-elles participé à changer la vie de milliers d’ouvrières et d’employées depuis plus d’un siècle ? A force de fouiller les archives, d’écumer les sites internet dédiés et d’interroger des spécialistes du sujet, je me retrouve submergée de visages, d’anecdotes, d’images qui illustrent la force d’une masse féminine peu à peu sortie du silence.
Je ne pourrai malheureusement pas citer toutes celles qui ont contribué, par de petites ou spectaculaires actions, à faire reconnaître les droits des femmes dans le monde du travail. Toutefois, quelques femmes employées du secteur bancaire ont éveillé en moi une plus grande curiosité et l’envie de connaître leurs motivations profondes à porter les revendications de leurs contemporaines. Je voudrais profiter de ce blog pour vous les présenter. Disons que c’est une sorte d’hommage à un engagement féminin(iste ?) qui a permis, non seulement de concrétiser des avancées sociales majeures, mais aussi de rendre visible et légitime la cause des femmes dans les luttes ouvrières.
L’avant-garde du syndicalisme féminin (début XXe siècle)
Pas facile d’être une femme dans des organisations syndicales fortement marquées par une culture masculine ! Dans leur essai Syndicalisme et représentation des femmes au travail, Cécile Guillaume et Sophie Pochic démontrent que les mouvements ouvriers, hostiles aux manifestations féministes, ont rarement défendu les salaires et l’emploi féminin, jusque dans les années 1918. Après les ravages de la Première Guerre mondiale, un principe de réalité les oblige à reconnaître le poids de la main-d’œuvre féminine et… sa capacité de mobilisation pour soutenir les mouvements sociaux !
Mais la présence des femmes gène toujours… Il faut pourtant traiter leurs « problèmes de bonnes femmes ». Certaines militantes se sont accrochées pour faire leur place dans les syndicats largement masculins, d’autres ont opté pour une organisation plus originale…
Dès 1899, des syndicats chrétiens féminins non-mixtes naissent à l’initiative d’ouvrières des secteurs du textile et de la couture. Grâce aux écrits de Joceline Chabot, docteure en histoire sociale, j’ai découvert que ces syndicalistes de la première heure s’impliquaient dans l’action sociale comme on entre en religion. Par vocation.
Ce qui m’étonne, c’est la capacité qu’ont eu ces femmes à soutenir des réformes progressistes dans le monde du travail, malgré une position très traditionaliste sur le rôle des femmes dans la structure sociale. Je dois admettre que l’Histoire est parfois faite de contradictions !
Quoi qu’il en soit, Marguerite Lafeuille, employée de banque et figure de proue des syndicats féminins chrétiens affiliés à la CFTC, défendait déjà dans l’entre-deux guerres le principe de « à travail égal, salaire égal », au coude à coude avec ses homologues masculins. Dans la lignée de Marie-Louise Rochebillard, fondatrice du mouvement, elle aura contribué, discrètement mais avec efficacité, à façonner un militantisme féminin fondé sur le professionnalisme syndical et la prise en main des femmes par elles-mêmes.
En poursuivant mes recherches sur les grandes figures du syndicalisme féminin, j’ai rencontré une autre drôle de dame !
Nous avons déjà vu qu’au cours de la Première Guerre mondiale, l’emploi féminin s’est fortement développé dans le secteur bancaire. Mais occupant des postes non qualifiés pour des salaires de misère, les femmes prennent largement part au conflit qui agite les banques entre 1917 et 1918. Parmi elles, Pauline Mondange, diplômée, polyglotte et animée d’un fort tempérament, fait rapidement autorité dans le milieu syndical et anarchiste. J’ai trouvé sa photo dans les archives historiques de la Société Générale, où elle a été embauchée en 1910 : on sent un caractère bien affirmé !
Cette jeune sténodactylographe contribuera notamment à l’obtention d’une « prime de vie chère », d’une aide aux employés prisonniers de guerre et l’attribution d’allocations aux employées épouses et veuves des soldats mobilisés durant la Grande Guerre.
Son action au Syndicat des employés de banque et de bourse vise plus largement à faire reconnaître la pénibilité du travail des femmes, qui, après leurs fins de journées de travail, doivent encore assurer les tâches ménagères de leur foyer ! Pauline Mondange aura également contribué au maintien et au développement des emplois féminins dans l’entre-deux-guerres et aux prémices de la première convention collective des banques du 3 juillet 1936.
Voici la transcription d’un tract conservé aux Archives nationales : Activités des syndicats d’employés : presse et notes, tract, 1917. F/7/13719. Tract appelant “ au droit absolu à la semaine anglaise de toutes les femmes sans exception” :
“En effet, qu’elle travaille dans les ateliers de couture, dans les bureaux ou dans toutes les autres maisons, elles ont toutes les mêmes besoins (on ne peut pas dire besoin de repos, puisqu’en raison de son “sexe faible”, sans doute?) la femme n’a pas le droit au repos comme l’homme quand elle rentre de son travail! Mais faut-il encore qu’elle ne tombe pas littéralement en loques. Elle a besoin au moins, du temps matériel pour se raccommoder, entretenir son linge et ses vêtements, ceux de ses enfants et de son mari quelquefois aussi. Elle a également besoin de faire son ménage à fond, impossible à faire en semaine. Elle a besoin de faire des courses que personne ne peut faire pour elle […] Quelques maisons accordent la semaine anglaise. Pourquoi toutes les maisons ne l’accorderaient-elles pas… au moins… à la femme à qui elle est indispensable!”
Militantes corps et âme (deuxième moitié du XXe siècle)
Je vous ai déjà parlé de la Loi Roudy de 1983 pour la parité homme-femme en entreprise. J’ai un peu creusé le sujet grâce aux nouvelles archives auxquelles j’ai pu avoir accès. Aux côtés d’Yvette Roudy, alors ministre des Droits de la femme (1981-1986) et dont la loi porte le nom, une femme d’action peu connue mais tout aussi tenace a œuvré en coulisses pour l’égalité professionnelle : Christiane Gilles.
A 16 ans, Christiane Gilles est embauchée au siège central du Crédit Lyonnais en tant qu’employée aux titres. Et ça ne la passionne pas… En 1947, elle participe à la grande grève qui secoue l’ensemble des secteurs public et privé français, adhère à la CGT et au Parti communiste français. On peut dire que c’est une fonceuse !
Volontaire et passionnée, Christiane Gilles devient rapidement secrétaire du syndicat CGT du Crédit Lyonnais où elle défend les revendications des femmes. Parmi ses victoires en faveur des employées du Crédit Lyonnais : la suppression du travail le samedi matin six mois par an, l’augmentation du nombre de jours de garde pour enfant malade, la création d’une crèche d’entreprise… et elle remet sans cesse à l’ordre du jour la question des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, que ce soit dans les lignes du magazine féminin de la CGT Antoinette ou lors des réunions confédérales.
A la CGT comme dans les rangs du PCF, les dents grincent et elle doit sans cesse faire face à l’hostilité de ses homologues masculins. Les désaccords répétés la conduiront à quitter le bureau confédéral du syndicat et rejoindre le cabinet d’Yvette Roudy où elle sera en charge dès 1981 de l’emploi et de la formation. Et par conséquent de la loi sur la parité au travail de 1983.
Disparue en 2016 après une vie entière dédiée à la lutte pour les droits des femmes, Christiane Gilles reste une figure majeure du syndicalisme et du féminisme du XXe siècle.
Un peu plus tard, dans les années 1970, l’accélération des mouvements de libération des femmes permettra à une nouvelle personnalité féminine de s’imposer sur la scène politique. Arlette Laguiller fait ses premières armes comme porte-parole des candidats du parti trotskiste Lutte Ouvrière aux élections législatives de 1973.
Tout comme Christiane Gilles, elle travaille au Crédit Lyonnais. En 1974 elle s’impose comme figure emblématique de la grève qui bloque une partie du secteur bancaire, puis, à 34 ans, elle devient la première femme candidate à une élection présidentielle. Pas du genre à baisser les bras malgré les faibles scores de son parti, elle renouvellera sa candidature à chaque nouveau scrutin présidentiel, et ce jusqu’en 2007. Que l’on adhère ou non à ses idées, comment oublier ses discours marqués par un puissant et récurrent « Travailleuses, travailleurs ! », portant sans détours la voix de la classe ouvrière et en particulier celle des femmes !
Au cours d’un meeting de campagne, Arlette Laguiller, candidate trotskyste à l’élection présidentielle de 1974, évoque le statut de la femme et critique les grands partis de gauche.
Finalement, j’ai le sentiment que parmi les réalisations de ces femmes militantes, la plus remarquable aura été d’accéder à des postes décisifs dans les hiérarchies syndicales et politiques.
Toutes ces images du passé m’aident à porter un regard neuf sur l’actualité. Bien qu’il y ait encore des progrès à faire, j’ai le sentiment que le combat des femmes pour leurs droits n’a pas été vain. Mes futures découvertes archivistiques ne manqueront pas de me le confirmer !
Pour en savoir plus :
Quelques ouvrages de référence :
- Syndicalisme et représentation des femmes au travail, Cécile Guillaume et Sophie Pochic, dans Travail et genre dans le monde, Ed. La découverte, 2013.
- Le monde des banquiers français au XXe siècle, Hubert Bonin, Complexe Editions, 2000.
- La gestion du personnel au Crédit Lyonnais de 1863 à 1939: une fonction en devenir (genèse, maturation et rationalisation), Cécile Omnès, Editeur Peter Lang, 2007.
- “De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir” : être militante à temps plein dans les syndicats féminins chrétiens en France durant l’entre-deux-guerres, Joceline Chabot
- Le Féminisme au-delà des idées reçues, Christine Bard. Éditions Le Cavalier Bleu.
- Moi, une militante, Arlette Laguiller. « J’ai Lu », 1974.
Liens :
L’audace de Christiane
Christine Bard « La lutte des femmes et celles pour l’égalité et la justice ne font qu’une »
Lien à mettre peut-être sur une légende BNP Paribas :
Action sociale, lien social : une tradition toujours vivante dans la banque