Voici maintenant plus de cinq mois que j’ai fait mon entrée dans le monde des archives. Grâce aux dossiers du personnel, j’ai pu retracer un siècle d’évolution du droit des femmes. Carrière, candidature, etc. j’ai également constaté que les métiers féminins nous disent beaucoup de leur époque. Ces thématiques font d’ailleurs l’objet de recherches aujourd’hui.
C’est pourquoi j’ai demandé à des experts de me donner leur point de vue. Avec eux, je veux comprendre pourquoi mon projet est toujours ancré dans l’actualité.
Aujourd’hui, je donne la parole à Nicolas Divert, sociologue, maître de conférences en Sciences de l’éducation, LIRTES, UPEC, chargé de réaliser les entretiens biographiques du projet Mémoires vives.
Je le remercie très sincèrement pour cette carte blanche.
Des carrières masculines et féminines dans la banque
Par Nicolas Divert
Les femmes ont très tôt travaillé dans les principaux établissements de crédit dont la naissance remonte, en France, au milieu du XIXe siècle. Si « les banques françaises ont forgé avant 1914 une identité professionnelle attractive même pour les femmes (…)1 », comme le souligne l’historienne Catherine Omnès, il a fallu attendre la Première Guerre mondiale pour que leurs effectifs se féminisent. Cette évolution semble avoir été particulièrement significative à la Société Générale. Pour preuve, les archives exploitables démontrent que les femmes représentaient 51 % des effectifs dans les agences parisiennes en 1931.
On aurait cependant tort de croire qu’hommes et femmes occupent les mêmes postes. Dès les recrutements, des voies parallèles se dessinent comme le stipule, en 1955, une note du département du personnel : « Nous vous demandons d’apporter le plus grand soin à l’examen des candidatures et de rechercher principalement des éléments masculins ; le recrutement féminin étant toutefois conservé notamment pour les emplois de dactylographes et de mécanographes ». Aussi, l’employé de banque, visible de la clientèle, était incarné par un homme à qui était associée la technicité bancaire tandis que les femmes utilisaient les outils techniques pour les opérations administratives.
Dès les années 1900, « la ténacité, le “caractère”, l’intelligence, le sens du risque, de l’adaptation et de l’organisation » sont perçus comme les attributs indispensables des futurs cadres de la banque comme le remarque Chantal Ronzon-Bélot2. Or, ces qualités sont attribuées aux hommes, limitant d’autant plus les perspectives d’évolution professionnelle pour les femmes que la formation qui sert alors de puissant tremplin à la promotion sociale ne va pas offrir les mêmes possibilités aux deux sexes. Les registres de l’école de Vichy, étape nécessaire pour devenir agent principal, en font état. Entre 1960 et 1983, celle-ci n’a accueilli que 3 % de femmes sur les 2 500 salariés de la Société Générale qui y ont été envoyés.
Aussi, les carrières des hommes n’étaient pas celles des femmes. Pourtant, pour les hommes qui ont connu d’importantes mobilités professionnelles, souvent associées à des mobilités géographiques, parfois à l’étranger, les femmes ont été des soutiens indispensables, tant pour la stabilité familiale que pour leur rôle de représentation aux côtés de leur mari. Ces carrières masculines n’auraient sans doute pas pu être les mêmes sans ces femmes de l’ombre et, au final, explique probablement le plus grand attachement de ces hommes à la banque.
Ainsi, dans le projet Mémoires vives mené depuis 2009 par le service des archives historiques de la Société Générale, 89 entretiens biographiques ont été conduits à ce jour auprès de retraités volontaires dont seulement 17 avec d’anciennes collaboratrices. Lorsqu’elles sont sollicitées, elles sont souvent plus réticentes à délivrer leur témoignage. Ces réactions illustrent encore le poids des représentations sexuées des vies professionnelles. Or, regarder du côté des femmes de la banque est essentiel pour mieux comprendre leur carrière mais aussi celles des hommes.
1 Omnès C. (2009), « Le salariat bancaire : représentations et identités du XIXe siècle à 1974 » dans P. Baubeau, C. Cossalter, C. Omnès (dir.), Le salariat bancaire. Enjeux sociaux et pratiques de gestion, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, p. 19, p. 15-27.
2 Ronzon-Bélot C. (2004), « Banquiers de la Belle Epoque, les dirigeants de la Société Générale vers 1900 », Histoire, économie et société, n° 3, p. 411-432.