Je viens de terminer de lire un roman incroyable : Cent ans après ou l’An 2000. Ecrit en 1887 par Edward Bellamy, il décrit une société utopiste et prédit qu’à l’aube du XXIe siècle, les femmes seraient les égales des hommes, auraient accès aux services financiers, et détiendraient une carte de crédit pour faire leur shopping.
Quelle vision ! Aujourd’hui, en 2018, cela n’a rien d’insolite ou de surréaliste. Les femmes glissent leur chéquier dans leur sac à main depuis le milieu des années 1960, puis elles possèdent des cartes de crédit au même titre que les hommes, et depuis les années 2000 elles peuvent même consulter leurs comptes sur internet et payer avec leur téléphone mobile !
Du côté des femmes
Pourtant, jusqu’en 1965 une inégalité de taille demeure : celle qui existe entre les femmes mariées, subordonnées à l’autorité de leur mari pour de nombreux actes civils, financiers ou judiciaires, et les autres femmes. En clair, la femme mariée ne peut pas devenir cliente de la banque au même titre que les hommes et les autres femmes célibataires, séparées, veuves… l’autorisation du mari est nécessaire pour toute démarche.
Depuis l’instauration de cette inégalité par le Code civil de 1804, il ne faudra pas moins d’un siècle et demi de réformes législatives et de transformations sociales pour la lever complètement. Après avoir voté pour la première fois en 1945 lors des élections municipales, les femmes sont sur la voie pour devenir des clientes bancaires comme les autres… ou presque.
Dans l’après-guerre, les banques ont épousé les évolutions sociétales et ont suivi de près l’évolution des droits des femmes. Cela s’est traduit par un effort de communication considérable pour faire savoir à la femme moderne, qui habite en ville et travaille pour avoir un deuxième salaire dans le foyer, qu’elle peut faciliter sa gestion du budget familial en l’accompagnant dans toutes ses démarches bancaires et financières. C’est le début de la publicité éducative à l’égard des femmes. Il existe une grande quantité de documents d’archives illustrant cela, parmi lesquels j’ai trouvé cette belle brochure, éditée dans les années 1960 par la BNCI (Banque nationale pour le commerce et l’industrie), qui interpelle directement la clientèle féminine :

Brochure commerciale « La femme et les questions d’argent » publiée par la BNCI au début des années 1960. BNP Paribas, archives historiques.
Opération séduction
Avec la montée du salariat, apparaît aussi un phénomène dont nous avions déjà parlé : la « bancarisation » de la société, c’est-à-dire l’équipement des ménages en produits et services financiers, à commencer par le compte chèques. Et il faut dire que les femmes sont largement concernées : presque toutes les femmes célibataires ont alors un métier et une femme mariée sur trois occupe une activité professionnelle ! J’aime beaucoup cette page publicitaire parue dans Paris Match en 1964, où le CNEP – Comptoir national d’escompte de Paris – illustre une situation de la vie quotidienne d’une femme :
Le 13 juillet 1965, grâce à la loi sur la réforme des régimes matrimoniaux, les femmes obtiennent enfin le droit d’ouvrir et de faire fonctionner librement un compte bancaire sous leur propre nom. Cela leur facilitera grandement la vie, notamment pour la gestion du budget du ménage, et contribuera à leur émancipation par la prise d’initiatives et des décisions en matière de dépenses.
Il ne faut pas perdre de vue que cela représente aussi un réel potentiel de développement commercial pour les banques ! Par exemple, la BNP, née en 1966 de la fusion de la BNCI et du CNEP, saisit au vol cette actualité et en fait un enjeu pour sa nouvelle marque. Comment s’y prend-elle ? Et bien elle multiplie les initiatives : enquête sur les femmes et la gestion du budget familial, publication d’une brochure intitulée « je fais mes comptes en 3 minutes par jour », ou encore insertion de questions financières spécifiques dans la presse magazine féminine. Peut-être avez-vous déjà vu cette campagne de presse de 1967 qui met en scène les mains d’une femme glissant un chéquier dans son sac à main :

Campagne de publicité dans la presse magazine « Compte de femme mariée », BNP, 1967. BNP Paribas, archives historiques.
Pour poursuivre avec la saga publicitaire de la BNP, je ne peux pas faire l’impasse sur le magazine pédagogique diffusé à grande échelle en 1968 : « La BNP et les femmes ».




















Campagne de publicité « BNP. Une banque où les femmes comptent ». 1978. BNP Paribas, archives historiques.
Cette offensive envers la clientèle féminine s’inscrit dans la réciprocité : des tables rondes sont organisées avec des femmes sélectionnées par les agences pour entendre ce qu’elles en pensent et adapter au mieux leurs services. Avant de se raviser, la BNP avait envisagé même d’ouvrir une agence spécialement dédiée aux femmes !
Autour du magazine « La BNP et les femmes », extraits de Dialogue, journal interne de la BNP, 1968. BNP Paribas, archives historiques.
Sur sa lancée, la banque participe aux « Etats généraux de la Femme » organisés par le magazine Elle, en 1971, et investit la presse spécialisée des jeunes filles dès 1973.
Dix ans après sa première campagne de communication ciblant la clientèle féminine et treize ans après la loi du 13 juillet 1965, des visages féminins apparaissent sur ses affiches avec la signature « La BNP… une banque où les femmes comptent ».
Campagne de publicité « BNP. Une banque où les femmes comptent ». 1978. BNP Paribas, archives historiques.
Les campagnes de 1979 et 1980 mettent l’accent sur l’image d’une banque proche des problèmes du quotidien et montrent ce que la banque peut faire pour les gens, et plus particulièrement pour les femmes – car c’est toujours elles qui tiennent la maisonnée budgétairement – en mettant en avant de nouveaux produits spécifiques :
Campagne de publicité « Pour vous faciliter la vie », BNP, 1981. BNP Paribas, archives historiques.
Puis, la BNP publie en 1992 une grande enquête sur les attentes financières bancaires des femmes. Alors que les femmes sont de plus en plus diplômées, deviennent cheffes de service ou cheffes d’entreprise, le marketing s’empare de cette cible pour déployer une nouvelle communication. Vous souvenez-vous de Juliette, 36 ans, directrice financière, en train de faire son marché ? La parfaite working-girl moderne qui concilie vie privée et vie professionnelle !

Article consacré à l’enquête sur les femmes et l’argent, Dialogue, journal interne de la BNP, 1992. Archives historiques BNP Paribas
Depuis le bas de laine jusqu’au paiement sans contact, en passant par le minitel et internet, que de chemin parcouru dans les façons d’utiliser et de gérer son argent !! Et on peut dire qu’à chacune de ces étapes d’innovation technologique, comme à chaque étape de l’émancipation financière des femmes, les banques ont veillé à soigner un discours adapté à cette clientèle nombreuse et bien spécifique que représentent les femmes. Pour terminer, je ne résiste pas à vous faire découvrir l’incroyable Madame Net qui consulte gratuitement ses comptes en ligne :