Voici maintenant près de trois mois que je vous partage mes découvertes sur mon blog, ou encore sur Twitter. Vous êtes de plus en plus nombreux à me suivre, et je vous en remercie. Ce projet est au croisement de plusieurs thématiques : la condition des femmes, le secteur bancaire, la valorisation des archives, l’histoire économique et sociale…  Et il n’y a qu’à regarder les informations pour constater que ces sujets sont au premier plan depuis plusieurs semaines. C’est pourquoi j’ai demandé aux « femmes qui comptent » d’aujourd’hui, des expertes, des femmes engagées, des professionnelles des banques et des archives, etc. de me donner leur point de vue. Avec elles, je veux comprendre pourquoi mon projet est toujours ancré dans l’actualité.
Aujourd’hui, je donne la parole à Bénédicte Grailles, maîtresse de conférences en archivistique à l’université d’Angers. Elle m’a écrit cette lettre où elle aborde les archives du féminisme et des femmes.
Je la remercie très sincèrement pour cette carte blanche.

 

Des archives féministes pour tisser le fil de l’histoire des femmes

Par Bénédicte Grailles

Chère Marie,

Vous avez raconté dans un billet votre entrée dans le monde des archives bancaires. Je vous propose de poursuivre vos investigations dans d’autres lieux d’archives. En effet, il existe en France des lieux de conservation spécifiquement dédiées aux femmes, à leur histoire, à la documentation de leurs luttes. À l’origine de ces centres, se trouvent généralement une ou des militantes féministes : les millions de fiches dressées par Eliska Vincent et léguées au Musée social en 1914, les dossiers et fonds d’archives accumulés dès 1897 par Marguerite Durand et confiés à la Ville de Paris en 1931 et, plus récemment, la collection de fonds documentaires et archivistiques patiemment collectés par l’association Archives du féminisme depuis 2000 et conservée au Centre des archives du féminisme accueilli par l’université d’Angers. Ces initiatives, à la confluence d’actions militantes et de besoins scientifiques, sont par essence liées aux revendications féministes. Il s’agit non seulement de documenter la vie des femmes mais surtout de les rendre visibles face à un système de conservation et de sélection perçu comme patriarcal. Documenter, accumuler les traces est en soi une activité militante. Rendre accessibles ces collections, c’est combler le manque de documents sur l’histoire des femmes, c’est combattre ce que Natalie Zemon Davis appelle « les silences patriarcaux du passé ». La marginalisation des femmes est aussi une marginalisation archivistique. On comprend pourquoi, outre la recherche et la préservation de documents écrits, les efforts ont également porté sur l’enregistrement de témoignages et de récits de vie dont l’exemple le plus frappant est la collection Témoigner pour le féminisme de 41 DVD réalisée par l’association Archives du féminisme : donner la parole à celles qui ne la prennent pas ou qu’on n’écoute pas car relevant d’une catégorie socialement dominée.

Si vous voulez donc poursuivre vos recherches, chère Marie, je vous conseille de vous rendre tout d’abord dans un lieu de mémoire, à savoir la bibliothèque Marguerite-Durand, hébergée depuis 1989 dans les locaux de la médiathèque Jean-Pierre-Melvil à Paris (79 rue Nationale dans le 13e arrondissement), aujourd’hui en sursis mais défendue par un collectif rassemblant militant.e.s, chercheur.e.s, associations et usager/ères passionné.e.s. Les dossiers constitués et reçus par Marguerite Durand sont toujours là, préservés et consultables. Ils ont continué d’être abondés au fil du temps et constituent le point d’entrée incontournable d’une recherche, qu’elle soit biographique ou thématique. Vous y trouverez notamment un dossier thématique sur le travail, particulièrement volumineux et intéressant. La bibliothèque ne s’est pas contenté de faire vivre un patrimoine existant, elle a développé une politique d’acquisition documentaire unique en France et a accumulé également, dans la mesure où l’espace dont elle disposait le permettait, un certain nombre de fonds d’archives de personnalités ou d’associations.

Guide des sources de l’histoire du féminisme de la Révolution française à nos jours

Vous découvrirez de nombreux autres fonds à Angers, au Centre des archives du féminisme hébergé par la bibliothèque universitaire. Ces fonds, parfois très volumineux, peuvent être sollicités dans le cas de recherches thématiques ou documentaires sur un sujet précis. Ils concourent à dresser une histoire politique et sociale des femmes en France, parfois en Europe voire dans le monde. Beaucoup de ces fonds sont sans équivalent de par la personnalité ou l’association qui les a produits, de par l’histoire de leur conservation, de par leur amplitude chronologique ou leur exhaustivité ou de par le projet dont ils témoignent : le fonds Cécile Brunschvicg, spolié pendant la seconde guerre mondiale, saisi par l’Armée rouge et emporté à Moscou, disparu pendant des décennies et restitué aux propriétaires légitimes en 2000, dont la préservation et la mise à disposition sont à l’origine de la création du centre – Cécile Brunschvicg fut présidente de l’Union française pour le suffrage des femmes, sous-secrétaire d’État dans le premier gouvernement Blum en 1936 – , le fonds Yvette Roudy, ministre des Droits de la femme de 1981 à 1986, le fonds de l’Union féminine civique et sociale, une association née dans les années 1920, ou celui, plus atypique, de l’Union professionnelle féminine…
Il existe beaucoup d’autres centres, publics ou privés, qui peuvent être utiles à votre recherche. Pour vous orienter, vous disposez du Guide des sources de l’histoire du féminisme de la Révolution française à nos jours publié, sous la direction de Christine Bard, Annie Metz et Valérie Neveu, aux Presses universitaires de Rennes en 2006 (442 p.) qui recense les sources de près d’une centaine de centres. Pour une information sur les collections et les lieux, vous pouvez parallèlement interroger la base de données tirée de ce guide mise en ligne sur le site de l’association Archives du féminisme. Enfin, n’hésitez pas à venir assister au colloque international qui se tiendra à Angers du 26 au 28 mars 2018 sur Les féministes et leurs archives (1968-2018). Militantisme, mémoire et recherche.
Chère Marie, je vous laisse trouver votre chemin parmi ces fonds d’archives et tisser le fil de votre histoire.

Bénédicte Grailles
Maîtresse de conférences en archivistique, Université d’Angers
Temos – Temps, Mondes, Sociétés (CNRS)