Et voilà, j’ai été séduite… par une affiche ancienne ! Leur charme désuet me fait toujours un petit quelque chose et celle-ci m’a immédiatement tapé dans l’œil :
Pour tout vous dire, je cherchais une documentation complémentaire au sujet de l’émancipation financière des femmes quand j’ai découvert dans les archives cette affiche qui date de 1932. Elle montre une petite fille qui vient déposer ses économies à la Caisse d’Epargne. Toute pimpante dans sa jolie robe et portant fièrement une coupe de cheveux à la garçonne, elle se met sur la pointe des pieds pour s’élever vers le guichetier, représenté en noir, la dominant tel une figure paternelle autoritaire et néanmoins bienveillante. Tirelire dans une main et acte de dépôt dans l’autre, la jeune fille semble passer du statut d’enfant à celui de femme. D’ailleurs, que dit-elle au banquier ? « Pour ma dot ». Pardon ???!
Eh oui! en cette période d’entre-deux guerres, le Code civil hérité de Napoléon est toujours en vigueur. Jusqu’en 1938, les femmes mariées sont considérées comme « incapables majeures », malgré la loi de 1881 qui leur permet tout de même d’utiliser leur livret de Caisse d’Epargne sans l’accord de leur époux. En 1932, le statut de femme mariée reste donc la norme et tout est fait pour préparer les petites filles à cet avenir.
Mais retournons à l’affiche. Qu’elle semble volontaire, cette petite ! Et surtout prévoyante. Car l’idée d’épargne et de prévoyance fait partie de l’éducation financière des filles. Cette superbe affiche au style Art nouveau est également remarquable dans sa manière d’illustrer l’incitation des enfants à l’épargne : « le centime fait la richesse ! »
Un sou est un sou : une petite histoire de l’épargne
Tout le monde connait le symbole de l’épargne, ce petit écureuil qui fait ses provisions de noisettes pour l’hiver. Mais quelle est son histoire ? J’ai fait mes petites recherches et je vais tenter de vous raconter le rôle qu’il a joué dans l’éducation financière des femmes.
Au siècle des Lumières, la notion d’épargne n’est plus assimilée à l’avarice mais devient une vertu, une « nouvelle providence » dirait même Montaigne. Au XIXe siècle, tout s’enchaine : l’industrialisation développe l’économie et l’épargne est popularisée par la création des premières Caisses d’Epargne, à partir de 1818.
Dès ses origines, la pédagogie financière est au cœur du dispositif des Caisses d’Épargne avec la création du livret d’épargne.
Le réseau des Caisses d’Epargne va rapidement couvrir l’ensemble du territoire français, jusque dans les villages les plus reculés. Il s’agit dès lors d’éduquer au bon usage de l’argent des milliers de familles françaises qui cherchent à améliorer leur avenir et celui de leurs enfants…
Si le livret d’épargne familiarise la population, encore largement illettrée, à l’écriture financière, les enfants sont une clientèle de choix pour les Caisses d’Epargne, car le livret est ouvert à tous ! Les supports d’éducation financière leur sont donc directement adressés, comme cette gravure où un certain « Oncle Denis » parle en ces termes : « Mes enfants, prenez dès votre jeune âge le chemin de la Caisse d’Épargne ; votre argent, en grossissant et s’accumulant, vous servira plus tard à vous tirer d’un mauvais pas. »
En 1834, nouvelle étape : une Caisse d’Épargne scolaire est créée pour accoutumer les enfants aux pratiques de l’économie. La pédagogie de l’argent est désormais au cœur de l’école… accompagnée de toute une panoplie d’objets promotionnels incitatifs ! Comment cela se passait ? Tenez-vous bien : des «bons points argent» étaient alloués aux instituteurs par la Caisse d’Épargne pour récompenser les élèves méritants qui pouvaient ensuite verser leurs gains sur un livret d’épargne scolaire.
Mais revenons aux filles, plus spécifiquement. Étaient-elles éduquées à l’argent de la même manière que les garçons ? Déjà, l’école n’étant pas mixte jusque dans les années 1960, les petites filles ont longtemps eu des cours de couture, ménage, cuisine, soins à l’enfant, etc… En plus d’apprendre à lire, écrire et compter, il leur était donc enseigné l’économie domestique et les devoirs du ménage. L’éducation financière était donc dispensée aux jeunes filles selon des principes qui les assignaient à leur rôle social traditionnel, afin qu’elles soient en capacité de “gouverner” les économies d’un futur foyer. Cependant, cet enseignement était une réelle opportunité pour elles de s’alphabétiser monétairement ; une avancée discrète, diffuse, mais essentielle pour l’émancipation des femmes.
De la gestion du budget familial aux aspirations de la société de consommation
Pour les jeunes femmes, a priori devenues épouses et mères, une pédagogie de l’argent continue d’être prodiguée, directement par les Caisses d’Épargne. En 1957, un Centre de recherche pour le budget familial (CRBF – aujourd’hui devenu Finances & Pédagogie) est même créé ! Son activité est d’abord centrée sur la mère de famille puis s’ouvre à un public de plus en plus large. Rapidement, son champ d’intervention ne se restreint plus à la simple gestion du budget familial, mais s’élargit à la connaissance des mécanismes du monde bancaire en général. J’avoue que j’ignorais tout de ce sujet avant d’écrire ces quelques lignes… mais je découvre que l’éducation à l’argent est un sujet encore très actuel, qui a notamment accompagné la loi Lagarde du 1er juillet 2010 visant à mieux encadrer les crédits à la consommation.
Bref, avec cet accompagnement à la gestion du budget familial, les femmes ont pu acquérir un début d’autonomie financière dès les années 1930… en attendant leur réelle émancipation avec l’autorisation d’ouvrir un compte en banque sans autorisation du mari en 1965.
En 1965, justement, la jeunesse issue du baby-boom représente le tiers de la population française ! Les établissements bancaires vont tout faire pour fidéliser cette clientèle au potentiel énorme, fortement ancrée dans la société de consommation et dont l’avenir semble assuré par le plein emploi.
L’épargne ne sert plus d’économie de précaution pour l’existence et l’avenir des individus, mais devient un placement à court terme pour accéder aux biens de consommation prônés par la société de loisirs. J’ai trouvé ces affiches des années 1960-1970 qui illustrent bien à quoi la jeunesse peut aspirer, avec un slogan qui accompagne ce changement de société : « réalisez aussi vos rêves avec la Caisse d’Epargne ».
L’épargne, une pratique démodée ?
Dans les années 1970, la Caisse d’Epargne adaptait son discours à la jeunesse et au style Yéyé : « Grand-mère, tu n’es pas dans le vent ! », dit cette jeune fille, en réponse aux craintes de son aïeule. C’est un peu caricatural, mais redoutablement efficace !
Et aujourd’hui, qu’en est-il de la pratique de l’épargne les chez plus jeunes ? Et bien la crise de 2009 étant passée par là, il semble que les jeunes renouent avec la conception originelle de l’épargne : celle de sécuriser l’avenir.
Si les droits des femmes ont énormément évolué au cours du siècle dernier, que le contexte social et les aspirations individuelles ont bien changé, on peut dire que l’éducation à la gestion de l’argent des jeunes filles reste toujours au cœur des préoccupations des banques d’aujourd’hui. Je vous laisse méditer sur ces deux affiches de 1932 et de 2009 !
En savoir plus :
Un ouvrage de référence sur l’épargne :
Les métamorphoses de l’épargne, Laure de Llamby, éd. Découvertes Gallimard, 2003.
Quelques ressources sur le web :